La mort en débat.Phillippe LAMBERT 2006

Publié le par Leilanne

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Dialogues avec la mort -Neurologie

 

PPPhillippe LAMBERT-
ph.lambert.ph@skynet.be
 
La mort n'est plus ce qu'elle était. Ou, plus exactement, son concept a évolué avec les progrès technologiques dont a bénéficié la médecine. Anciennement centré sur des critères cardiorespiratoires, son diagnostic repose aujourd'hui sur des critères neurologiques.
Cette évolution n'a cependant pas éteint toutes les controverses
 
Departed This Earth February 25, 1990».
 
Telle est l'inscription figurant sur la pierre tombale de Terri Schiavo.
«A quitté cette Terre le 25 février 1990.»
Le cas de cette femme plongée depuis cette date dans le coma, puis dans un long état végétatif irréversible, a allumé en 2005 un débat à couteaux tirés au sein de la société américaine et polarisé l'attention des médias du monde entier. Au départ, une famille qui se déchire: d'un côté, un mari qui veut qu'on «arrête tout», qu'on retire enfin la sonde assurant la nutrition et l'hydratation de
son épouse; de l'autre, des parents qui s'y opposent formellement. Bataille juridique, intervention du président George Bush lui-même,affrontement entre les activistes défendant le droit à la vie et ceux prônant le droit à la mort. À plusieurs reprises, la sonde fut enlevée, puis replacée. Enfin libérée de cet appendice, Terri Schiavo ferma définitivement les yeux le 31 mars dernier.
Mais, au fond, est-elle décédée le 25 février 1990, comme le suggèrent les mots gravés dans la pierre, ou le 31 mars 2005, jour où son cœur et son cerveau se sont tus à jamais ? Son cas illustre de façon éclatante les difficultés que soulève la notion de mort,particulièrement quand on l'évoque à propos de patients en état végétatif.
«Beaucoup de commentateurs ont affirmé que Terri Schiavo était dans un état de mort cérébrale depuis le 25 février 1990, quand son cœur s'est arrêté pour la première fois,indique Steven
Laureys, neurologue au Centre hospitalier universitaire de Liège et chercheur qualifié du
Fonds national de la recherche scientifique
(Fnrs). Cette vision des faits est erronée, dans la mesure où, quoique lésé, le cerveau d'un patient en état végétatif n'a pas totalement cessé de fonctionner et que, par ailleurs, la récupération n'est pas exclue dans certains cas, au cours des premiers mois.»
 
(
Steven Laureys a rédigé récemment un article dans lequel il passe au crible les questions
médicales, philosophiques, légales et éthiques entourant la détermination de la mort humaine. Cette contribution de grande valeur a été publiée en novembre 2005 dans Nature Reviews Neuroscience
 
L'auteur y rappelle tout d'abord que la problématique de la définition de la mort taraude les esprits depuis longtemps déjà.
Dans l'Égypte ancienne et la Grèce antique, c'est l'absence de battements du cœur qui était considérée comme la principale signature du passage de vie à trépas.
Théologien, philosophe et médecin juif, Moïse Maimonide (1135-1204) fut le premier à sortir le cerveau de l'ombre pour le plonger dans le noir de la mort. Que disait-il ? Que les spasmes observés chez les humains décapités ne représentent pas des signes de vie, car ils s'exercent sans contrôle central. Sa vision du problème ne fit pas florès pour autant, les trois grandes fonctions,cardiaque, pulmonaire et cérébrale, étant intriquées: aucune d'elles ne pouvait s'exprimer en l'absence d'une des deux autres.
 
Mort cérébrale
Les siècles s'égrenèrent, puis cette vérité finit par voler en éclats avec l'invention du respirateur artificiel par l'anesthésiste danois BjornIbsen, au début des années 50.
«Auparavant, en cas de lésion importante du tronc cérébral, le patient mourait directement d'apnée,
souligne Steven Laureys.
Le respirateur permet de maintenir les battements du cœur et une circulation systémique.»
La définition de la mort allait connaître un changement de cap. Il fut amorcé en 1959 par deux neurologues français, P. Mollaret et M. Goulon, qui furent les premiers à tenter de définir la mort sur des bases neurologiques.
«Ils décrivirent avec brio les aspects cliniques,électrophysiologiques et éthiques de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui la "mort cérébrale" et qu'ils nommaient à l'époque le"coma dépassé",rapporte Steven Laureys.
Malheureusement, leur article, écrit en français, resta sans écho hors de l'Hexagone.»
Neuf ans plus tard, leAd Hoc Committee de l'École médicale de Harvard, qui avait réuni pour la circonstance dix médecins, un juriste,un théologien et un historien des sciences, définit la mort comme un coma irréversible (mort cérébrale) et en spécifia les critères.
De nos jours, ses conclusions, sur lesquelles plane le spectre des écrits de Mollaret et Goulon, demeurent la principale référence au niveau planétaire.
Dans la pratique, la mort est donc assimilée à la mort cérébrale. Néanmoins, il ne peut y avoir deux types de mort. De sorte que sa définition la plus généralement admise à l'heure actuelle s'énonce comme suit: cessation permanente des fonctions critiques de l'organisme comme une entité entière. Sont concernés le contrôle de la respiration et de la circulation, la régulation neuroendocrinienne et homéostatique, la conscience.
 
Bien que les critères physiopathologiques de la mort cérébrale aient été rigoureusement précisés, ainsi que les tests pour les évaluer, la peur d'une erreur de diagnostic ne s'est jamais totalement éteinte au sein des populations. Ainsi, le 13 octobre 1983, la BBC diffusait un programme intitulé
«Transplants - are the donors really dead ?» (Transplantations - les donneurs sont-ils réellement morts ?). «Despersonnes interviewées affirmaient avoir été déclarées en état de mort cérébrale, alors qu'on les voyait maintenant bien vivantes,dit Steven Laureys. The British Medical Associationdénonça l'émission, mais jamais la BBC ne revint sur ses allégations. Dans les mois suivants, la Grande-Bretagne connut une forte baisse du nombre de dons d'organes.»
Quelques années après les travaux du Ad Hoc Committee de l'École médicale de Harvard, des études de neuropathologie ont démontré que, dans la mort cérébrale, la clé de voûte était l'atteinte du tronc cérébral. En effet, qu'elle soit consécutive à un traumatisme crânien, à une anoxie - une diminution de la quantité d'oxygène dans les tissus - ou à une hémorragie, une importante lésion du cerveau engendre une pression intracrânienne élevée qui écrase le tronc cérébral et le détruit. Or celui-ci s'acquitte notamment du contrôle de la fonction respiratoire.
 
Trois courants
Dans l'approche théorique classique, dont les racines sont américaines, les critères neurologiques de la mort ont trait au cerveau entier:«the whole brain»,disent les Anglo-Saxons. Toutefois, se fondant sur les études de neuropathologie, la Grande-Bretagne, puis l'Inde,se sont démarquées de cette vision du problème (la mort cérébrale) et ont adopté des critères focalisés sur le seul tronc cérébral.
«Dans la pratique, cela change peu de choses car, même dans la conception mettant en jeu le cerveau entier, les tests cliniques portent sur les réflexes du tronc cérébral,explique Steven Laureys.
Il existe cependant une situation où la mort sera décrétée par la doctrine britannique, alors qu'elle ne le sera pas par la doctrine américaine: lorsque le coma résulte d'une lésion primaire touchant le
tronc cérébral, et non le cerveau. Théoriquement, certaines fonctions résiduelles qui ne sont pas testables cliniquement pourraient alors subsister et sous-tendre une forme de conscience. Pour l'heure, un tel cas n'a jamais été rapporté.»
Comme le précise notre interlocuteur dans son article de Nature Reviews Neuroscience,
une hémorragie dans le tronc cérébral même n'a pas les mêmes conséquences, en matière de compression et de destruction de l'organe, que la cascade d'événements déclenchée
par une lésion primaire dans le cerveau.
Initié en 1971 par le neurologue écossais J.B. Brierley et ses collègues, un troisième courant, minoritaire, a essaimé vers les États-Unis,puis l'Europe. Relayé par des philosophes et des juristes, il repose sur le concept de «mort néocorticale»: l'être humain se caractérise par sa conscience et ses interactions sociales; par conséquent, si l'étendue des lésions de sa matière grise lui interdit tout rapport conscient au monde extérieur, il doit être tenu pour mort.
 
«Cette vie n'est pas une vie»,estiment les tenants de ce courant, qui rangent
au nombre des défunts les patients en état végétatif et les enfants anencéphales (dépourvus d'encéphale), justifiant ainsi le droit de leur prélever des organes pour des transplantations. Dès son éclosion, cette conception de la mort a alimenté plus que toute autre le débat éthique.
Aujourd'hui encore, la définition de la mort sur la base des critères de la mort cérébrale
(3)est contestée par des médecins, philosophes et théologiens catholiques ultraconservateurs. Pour eux, le seul critère admissible est l'arrêt irréversible de la circulation sanguine.
 
Ainsi,le neurologue Alan Shewmon, de l'Université de Californie, à Los Angeles, ne confère au cerveau aucun statut particulier. À ses yeux, il ne serait qu'un organe important parmi d'autres. Qui plus est, il ne se distinguerait pas qualitativement de la moelle épinière, qui est capable, elle aussi, de s'acquitter de fonctions d'intégration relativement complexes, comme assurer certains mouvements du corps ou le fonctionnement de certains organes.
 
Shewmon a notamment publié un article dans lequel il se réfère à 50 patients en état de mort cérébrale et dont la famille a refusé qu'on arrête l'assistance respiratoire,indique Steven Laureys.
Ils ont survécu pendant des mois, voire davantage. Comme il y avait beaucoup
d'enfants parmi eux, Shewmon écrit en substance: "N'est-il pas gênant qu'on déclare mort un enfant qui continue à évoluer et même à grandir ?"
Et il tient un raisonnement analogue à propos de femmes enceintes qui ont rempli le rôle de couveuses biologiques et donné un bébé viable.
James Bernat, duDartmouth-Hitchcock Medical Center,aux États-Unis, a pris le contre-pied des critiques des ultraconservateurs en arguant que leur vision du problème encourt le reproche inverse de celui adressé à la définition néocorticale de la mort: l'arrêt définitif de la circulation représente un critère de mort suffisant, mais non nécessaire.»
 
N°217

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