Prélèvement multi-organes, le vécu des soignants

Publié le par Emmanne

Cette étude menée à l’échelle régionale a pour but de comprendre le vécu des soignants face au
prélèvement multi-organes et d’identifier les facteurs qui influencent leur ressenti. Un objectif
secondaire vise également à connaître la répercussion de ce vécu sur l’équilibre de l’équipe.
Une étude qualitative transversale a été réalisée via dix entretiens semi-dirigés, menés auprès
d’infirmiers diplômés d’État et d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État exerçant en centres
hospitaliers régional et universitaire de la région Occitanie.

*En effet, afin de contribuer à cette activité en plein essor, il convient de mieux comprendre la
réaction des infirmiers diplômés d’État (IDE) et des Ibode dans cette situation. Il s’agit d’une étape
essentielle permettant, dans un second temps, de lever les difficultés identifiées lors de la prise en
soins des PMO.
T1 Question de recherche
Nous avons fait le constat suivant : Pourquoi existe-t-il autant d’attitudes différentes de la part des
IDE/Ibode face au PMO ? Quelle répercussion cela peut-il avoir sur l’équilibre de l’équipe ?
L’état des lieux des connaissances sur le sujet, la mise en contexte et le cadre théorique permettent
de nous poser cette question de recherche : Quelle influence la représentation du corps et de la
mort, des IDE/Ibode, a-t-elle sur l’attitude de l’équipe paramédicale participant aux PMO, au bloc
opératoire ?
T1 Matériel et méthode
Ce travail se base sur une méthode hypothéticodéductive. Une étude qualitative transversale a été
réalisée. Dix entretiens individuels semi-directifs ont été menés afin de vérifier l’hypothèse de travail.
L’échantillonnage repose sur le principe de la saturation théorique des données, décrit notamment
par Alvaro Pires [8].
Les critères d’inclusion précisaient que les participants devaient être IDE ou Ibode, venant de centres
hospitaliers régionaux (CHR) ou universitaires (CHU) de la région Occitanie, participant à des PMO au
bloc opératoire, que ce soit dans le cadre d’une liste de volontaires ou non.
Les autres soignants participant aux PMO au bloc opératoire, de type infirmier anesthésiste diplômé
d’État (Iade) ou chirurgien, ont été exclus de l’étude. Les établissements de santé hors Occitanie ont
également été écartés pour des raisons géographiques.
Un guide d’entretien a été rédigé en se basant sur les travaux de la sociologue, Anne Revillard [9].
Après le recueil des données sociodémographiques, le guide s’articulait autour de trois thèmes
établis en fonction du cadre théorique : la formation, l’attitude/comportement, la représentation du
corps et de la mort. Les questions ouvertes, claires et concises, ainsi que les questions de relance
basées sur la reformulation, ont permis à l’interviewé de développer et d’orienter librement son
propos.
Ces entretiens ont été menés dans des conditions éthiques, d’anonymat, de consentement, de
liberté d’accepter ou non l’enregistrement par dictaphone, et la possibilité pour l’interviewé
d’interrompre librement l’entretien.
L’analyse de contenu a été effectuée selon la procédure décrite par Bardin en 1977 [10].
Les enregistrements ont été retranscrits. Le codage des données a été fait par regroupement des
verbatims. La fréquence d’apparition de thématiques et l’association avec le récit des interviewés ont
permis d’établir une grille de synthèse constituée de l’analyse syntaxique (éléments du récit), de
l’analyse sémantique (le thème associé) et de la fréquence d’apparition.
T1 Résultats
Les données sociodémographiques des dix interviewés (répartition IDE/Ibode, âge, volontariat et
expériences) sont présentées dans la figure 1.
L’analyse de contenu nous a permis d’établir la grille synthétisée sur le tableau 1. Elle a notamment
montré que 8 soignants sur 10 ont développé un ressenti négatif face aux PMO. Les trois quarts des
soignants interrogés méconnaissent la notion de mort encéphalique : 4 sur 10 considèrent encore le
donneur comme “vivant” (figure 2). Les deux tiers des soignants qui prennent en soins les PMO dans
le cadre de leur poste, et non sur une liste de volontaires, ne sont pas formés (figure 3). Lors de
difficultés, les trois quarts des IDE/Ibode interrogés ont identifié comme ressource un membre de
l’équipe. Dans cette même proportion, les professionnels déclarent être intervenus afin d’aider
l’équipe. Seuls 4 soignants interrogés sur 10 ont évoqué la représentation du corps comme ayant un
impact sur leur ressenti.
T1 Discussion
Cette étude a permis d’identifier plusieurs éléments qui influent sur le vécu des soignants confrontés
au PMO. La méconnaissance de la mort encéphalique et le manque de formation sont les deux
facteurs principaux qui rendent difficile ce type de situation.
Le travail mené en 2013 dans la région Sud-Méditerranée, en secteur de soins aigus, incluant le bloc
opératoire, conclut également sur la nécessité d’une formation initiale sur ce thème de même
qu’une formation continue [5].
La formation est essentielle, mais pas suffisante, pour modifier les ressentis et attitudes “négatifs”
des soignants. Il est souhaitable de réunir les caractéristiques d’un message à caractère persuasif
durant la formation au PMO : un formateur crédible (Hovland, Janis et Kelley, 1953) [11], une
formation actualisée (Cacioppo et Pettyen, 1980) [12], une tonalité positive (méta-analyse de
Gallagher et Updegraff, 2012) [11], un message vivant et congruent (Smith et Shaffer, 2000) [12].
Au regard de ces caractéristiques, les nouvelles méthodes de formation à distance, de type e-
formation, ne semblent pas adaptées à ce type de sujet.
De plus, la rencontre de personnes greffées peut, par association d’images, positiver le
positionnement des soignants par rapport aux PMO. Avec un contenu adapté, la formation pourra
avoir un impact sur la composante cognitive de l’attitude (“ce que je sais”), mais également sur la
composante affective (“ce que je ressens”) [13].
Les participants à notre étude sont en demande de formation. Cette motivation et cette implication
influent également sur l’impact du message, selon Petty, Cacioppo et Goldman [11].
Bien que les articles R1232-2 du Code de la santé publique [14] décrivent les éléments diagnostics de
la mort encéphalique conditionnant le don d’organes, les trois quarts des soignants interrogés n’ont
pas su affirmer que le donneur était décédé. Des soignants vont même jusqu’à qualifier le donneur
de “vivant”, à son arrivée au bloc opératoire. Chez ces derniers, on note un manque de
connaissances et d’expérience, qu’elle soit de nature professionnelle ou personnelle.
Les soignants qui participent aux PMO sur liste de volontaires ont un vécu différent, positif. Il est
important de favoriser ces listes dès que possible.
Roger Mucchielli, psychosociologue français, a décrit l’importance d’un équilibre entre
l’homogénéité et l’hétérogénéité dans une équipe [15] : homogène par ses valeurs, ses objectifs, et
hétérogène par l’existence dans ses caractéristiques de membres dits “défaillants”et de membre
ressource. L’équilibre au sein de l’équipe, dans la population étudiée, n’est donc pas impacté. Nous
retrouvons une proportion égale de membres ressources et de membres “défaillants”, mais
également une volonté de suppléance, comme objectif commun.
La faible évocation de la représentation du corps par les participants ne permet pas une analyse
pertinente.
Le bilan du Plan greffe 2012-2016 est globalement positif1, avec dès la fin de l’année 2015, une
progression de 12,5 % du nombre des donneurs en mort encéphalique prélevés [16]. L’objectif
d’augmenter le nombre de greffes à partir d’un donneur décédé a d’ailleurs été reconduit pour le
Plan greffe 2017-2021 [16]. À ce jour, aucun objectif national ne concerne la formation du personnel
paramédical.
T1 Conclusion
Cette étude a permis de mettre en évidence un ressenti “difficile”, négativement connoté, des
soignants face au PMO. Une méconnaissance de la mort encéphalique et un manque de formation
chez les soignants interrogés ont également été observés. Ces deux facteurs semblent avoir un
impact sur le ressenti des soignants face au PMO. L’équilibre de l’équipe ne semble pas impacté,
puisqu’une volonté de suppléance des membres “défaillants” a été constatée. La représentation du
corps par les soignants, comme facteur influençant leur ressenti, n’est en revanche pas
statistiquement significative.
Il est essentiel, en se basant sur ces conclusions, de réaliser, à un niveau national, un état des lieux
sur le vécu des soignants et sur leur connaissance de la notion de mort encé

Tableau 1. Grille d’analyse des dix entretiens semi-directifs.
ÉLÉMENTS SÉMANTIQUES ÉLÉMENTS SYNTAXIQUES FRÉQUENCE
Attitude/
Comportement
Négatif « J’ai toujours pu éviter d’en prendre en charge »
(Entretien n° 2) 4/10
Évolue
« On change de regard, on a quelques
explications » (Entretien n° 5).
« Après en comprenant certaines choses et aussi en
étant plus à l’aise avec l’instrumentation »
(Entretien n° 6)
4/10
Positif
« Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en prendre en
charge » (Entretien n° 9)
« Un PMO est une intervention que j’apprécie »
(Entretien n° 8)
2/10
Équipe
Trouver une
ressource
« L’ambiance d’équipe qui permet de parler
librement » (Entretien n° 1), « Les coordinatrices,
c’est elles qui sont là » (Entretien n° 3)
« On s’appuie sur ses collègues », « L’équipe c’est
important » (Entretien n° 4)
3/4
Être ressource
« J’y suis allée mais c’est normal » (Entretien n° 8)
« Il n’y a pas eu de problème » (Entretien n° 6)
« On se complète, on s’entend bien » (Entretien
n° 5)
3/4
Représentation
du corps
Impact négatif
« Les chirurgiens arrivés, on a l’impression qu’ils
viennent piller le corps »
« Mettre des Absorbex dans le ventre, la première
fois ça m’a choqué » (Entretien n° 1)
« La découverte du corps exsangue, il est tout gris »
(Entretien n° 7)
3/10

 

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