Le prélèvement d'organes sur personne décédée.Laennec 2010/4 (Tome 58)

Publié le par Leilanne

Le prélèvement d'organes sur personne décédée.Laennec 2010/4 (Tome 58)

Dès que je l'ai trouvé , je l'ai commandé et lu afin d'avoir une vision claire du discours sur les prélèvements d'organes...Il date de 2010, écrit contemporain de sa mort donc...voilà  le discours médical de cette année là...Je ne suis bien évidement pas d'accord avec tout un tas de conceptions ,médicales ...mais le lire m'a donné encore plus d'informations que celles glanées sur le net et parfois sujettes à caution...

La législation française pour le don d’organes est fondée sur la notion de consentement « présumé » en vertu d’un principe de solidarité. Le défunt est supposé avoir consenti au don dès lors que, de son vivant, il n’a pas manifesté d’opposition, notamment par une inscription sur le « registre national des refus » [1][1] Cf. dans ce numéro : Belghiti J « L’organisation des.... Ainsi, conformément à l’article L.1232-1 du code de la santé publique, « si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir, auprès des proches, l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen, et il les informe de la finalité des prélèvements envisagés. »

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Souvent, en pratique, le médecin ne détient pas d’information directe sur la volonté du défunt ; il revient donc aux soignants en charge de la coordination hospitalière des prélèvements de s’assurer auprès de ses proches de la présence ou de l’absence de son opposition. Cette démarche, qui par la force des choses intervient très rapidement après l’annonce de la mort, s’avère complexe à bien des égards et requiert une grande délicatesse.

Rencontrer la famille et parler de la mort

Des conditions indispensables

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Lorsque l’état de mort encéphalique a été dûment constaté [2][2] Cf. dans ce numéro : Gruat R « Reconnaître l’état de..., vient le moment de rencontrer les proches du défunt. Annoncer la mort d’un patient à sa famille requiert toujours beaucoup de délicatesse, et c’est encore plus important quand cette annonce s’accompagne de la proposition d’un don d’organes. Longtemps laissé à la seule initiative du médecin (réanimateur) qui avait en charge le malade, cet entretien est aujourd’hui assuré par une équipe de coordination autonome associant un médecin réanimateur et une infirmière ou un infirmier coordinateur.

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Dans le meilleur des cas, un lieu est réservé à cet usage et, si possible, pensé pour recevoir les proches. Des efforts sont accomplis actuellement en France, mais toutes les coordinations ne possèdent pas encore un espace approprié.

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Les personnes qui vont rencontrer la famille prennent préalablement le temps d’étudier le dossier médical du patient, son mode de vie, ses antécédents, les motifs de son hospitalisation… Il est important également d’avoir glané des informations sur la famille elle-même auprès des infirmières du service : qui venait visiter le malade ? Qui restait auprès de lui ? Quelles questions posaient ces gens ? Que font-ils dans la vie ? On ne peut pas aborder les proches et leur parler d’un défunt, de leur défunt, sans connaître ces « choses-là ».

L ’annonce de la mort

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L’annonce de la mort précède nécessairement toute proposition de don d’organes, de prélèvement d’organes. Le premier objectif de la rencontre des familles est de leur signifier la mort de leur proche. Or, ce dernier leur est présenté dans une situation bien particulière. Il est dans son lit de réanimation, une machine le fait respirer… Les soignants savent que, sans la machine, il ne respirerait pas. Mais la personne que les familles voient devant elles leur apparaît semblable à celle qu’elles ont vue la veille ou le matin même : si on la touche, elle est chaude ; son thorax se soulève ; dans la sonde urinaire, de l’urine coule… et, sur les écrans, un tracé affiche le rythme cardiaque, témoignant que le cœur bat encore.

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Il faut donc prendre son temps pour annoncer cette mort, « cette mort invisible » – quand bien même, pour les équipes, le prélèvement d’organes s’inscrit dans une urgence – prendre le temps de respecter les émotions, dans une attitude bienveillante… et, avant tout, s’assurer que les proches ont bien compris. Il est essentiel que le mot «mort » soit prononcé, que soient évitées les métaphores du style « Il nous a quittés », « Il n’est plus parmi nous »… ainsi que les termes scientifiques employés dans les textes réglementaires. L’expression actuelle de «mort encéphalique », par exemple, a pu entraîner une grande confusion dans l’esprit de certaines familles : «Vous me parlez de prélèvement. Puisqu’il a le cerveau mort, remettez-lui en un autre ! »

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Mieux vaut s’en tenir à un langage aussi simple que possible, et évoquer clairement ce qui est la réalité : cette personne est morte. En amenant les proches à reformuler cette information, on s’assure qu’ils ont bien compris de quoi on parle. Il est important qu’ils reprennent dans leur discours et leurs questions ce fait de la mort, en évoquant par exemple la préparation des funérailles…

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Il leur faut avoir pleinement compris et assimilé que la personne est morte pour qu’une démarche puisse s’amorcer qui leur permettra de rentrer dans un processus de don.

Aborder la question du don avec les proches

Mais qui sont « les proches » ?

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S’agissant de don d’organes, il n’est question dans la législation ni de « personne de confiance » [3][3] La « personne de confiance » est la personne désignée... ni de famille, mais de «proches », auprès desquels le médecin doit s’efforcer de recueillir une éventuelle opposition du défunt au don de ses organes. Ces proches, qui sont-ils ? Dans la plupart des cas, ils sont facilement repérables : il s’agit des personnes – la famille, le plus souvent – présentes au chevet du malade dans le service de réanimation. Parfois cependant, discerner qui est « proche » et qui ne l’est pas s’avère plus complexe. Inversement, il arrive que « les proches » ne se manifestent pas spontanément, suscitant d’autres questionnements et complications.

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Monsieur C., 65 ans, sans antécédents, est en état de mort encéphalique suite à une hémorragie cérébrale. Il avait une femme de 60 ans dont il était séparé depuis deux ans, une fille de 38 ans, et une amie qui se présente elle-même comme « très proche ». Le médecin réanimateur et l’infirmière coordinatrice sont amenés à interroger « les proches » sur une éventuelle opposition de Monsieur C. au don de ses organes. Qui consulter ? La mère – bien qu’elle ne vive plus avec son mari – et la fille disent : « Je suis sa femme. Je suis sa fille. Les proches, c’est nous. » L’amie, quant à elle, n’a pas déclaré « Je suis sa maîtresse », mais « Je suis une amie très proche ». Faut-il ou ne faut-il pas prendre sa parole en considération ?

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Monsieur T., 69 ans, sans domicile fixe, vivait sous une tente en bordure de l’Oise. Suite à un accident vasculaire cérébral hémorragique gravissime, il passe en état de mort encéphalique. Personne ne lui connaît de famille. La coordination, conformément à la législation, s’efforce de lui trouver des proches en faisant appel à la police, à la gendarmerie, à l’assistante sociale… Finalement, cinq enfants de Monsieur T. sont retrouvés, habitant à plus de 100 km de leur père qu’ils n’ont pas revu depuis au moins huit ans. Tous affirment : « Il nous avait dit être opposé au don d’organes. » Ce témoignage – qui sera finalement respecté – est-il appuyé sur une réelle connaissance de la volonté du défunt ou sur un souci commun d’éviter «des complications » ?

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Les cas où la personne décédée était un mineur ou un majeur sous tutelle constituent des situations à part, soumises à une réglementation spécifique : l’autorisation ne peut être donnée qu’à condition que chacun des titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur y consente par écrit ; toutefois, en cas d’impossibilité de consulter l’un des titulaires de l’autorité parentale, le prélèvement peut avoir lieu à condition que l’autre titulaire y consente par écrit [4][4] Code de la santé publique, article L.1232-2, modifié....

Parler du don : entre humanité et professionnalisme

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Une fois que la mort a été annoncée et qu’un temps a été respecté pour laisser toute leur place aux émotions, vient le moment d’aborder la question du don d’organes. Il s’agit de le faire clairement, de façon loyale et adaptée, en se mettant à la portée des personnes – d’où l’importance évoquée précédemment de savoir à qui l’on a affaire. Moins les gens semblent comprendre, plus il est nécessaire de passer du temps avec eux. En sachant que la façon de s’exprimer est fondamentale. Ainsi, la notion de « don » est toujours préférée à celle de « prélèvement », dans la mesure où elle est plus valorisante pour le défunt et donc plus facilement recevable par les proches.

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Car l’entretien, s’il est conduit avec un souci constant d’humanité et d’empathie, n’en poursuit pas moins un objectif clair : l’obtention d’un potentiel greffon qui permettra d’éviter le décès d’un patient en liste d’attente [5][5] Bien souvent d’ailleurs, ce n’est pas un, mais plusieurs....

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C’est pourquoi il est nécessaire de suivre des étapes précises, où les mots employés et les questions posées situent d’emblée le dialogue dans un contexte de consentement présumé, conformément au cadre réglementaire. Ce qui doit être recueilli auprès des proches, ce n’est pas le consentement du défunt mais son opposition. On ne demandera donc pas « Était-il pour ou contre ? » mais « En aviez-vous parlé ? ». Si la réponse est « Non », d’un strict point de vue légal, la discussion pourrait s’arrêter là et le prélèvement avoir lieu… si la compassion et le respect – tant du défunt que de ses proches – n’incitaient pas les coordinatrices à poursuivre : « Vous n’en aviez jamais parlé, mais que pensez-vous qu’il aurait voulu, vous qui le connaissiez ? »

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C’est dire l’importance du professionnalisme des personnels des coordinations. Leur disponibilité, la qualité de leur écoute (qui inclut le non verbal, le non dit), la tonalité de la voix, la nature du lieu, la prise en compte des étapes de l’annonce, sont déterminantes pour la qualité de l’accompagnement d’une situation chaque fois singulière et toujours tragique. On peut d’ailleurs regretter que ce type d’accompagnement ne soit pas instauré en dehors de tout contexte de don d’organes, pour tous les proches de patients qui décèdent à l’hôpital.

Accueillir toutes les réactions

Des attitudes très diverses…

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La question «Aviez-vous évoqué avec le défunt la question du don de ses organes ? » confronte les coordinations à toute une gamme de réactions.

L’acceptation ou le refus clairement posés
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Les réponses peuvent être nettes, dans un sens ou dans l’autre : «Oui, il m’avait dit qu’il ne voulait pas. » Après une telle affirmation, il faut continuer à écouter les proches, à prendre leur chagrin en considération, mais, pour ce qui est des attentes de la coordination en termes de greffon potentiel, la situation est claire.

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«Oui, il m’avait dit qu’il y était favorable. » : ici encore, il n’y a pas de doute sur l’évolution de la situation, cette fois dans un sens favorable.

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Certaines réponses sont un peu plus nuancées : « Je pense qu’il n’était pas d’accord» ou au contraire « Je pense qu’il aurait été d’accord ».

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Il arrive aussi que les familles expriment un rejet total de l’idée même de don d’organes, refusant d’aborder seulement le sujet : « Je ne veux pas parler de ça. Attendez : vous me parlez de mon mari qui vient de mourir… Moi je ne parle pas de ça. »

Le choc ou la surprise
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Aujourd’hui encore, dans les représentations de nos concitoyens, le donneur d’organes « type » est le jeune homme de 18-20 ans accidenté de la route et traumatisé du crâne. Quand on demande à une dame de 82 ans quelle était la position de son mari de 84 ans par rapport au don d’organes, il n’est pas rare qu’elle réponde : «Mais attendez, mon mari a 84 ans ! » La demande semble parfois vécue comme une agression à l’égard d’une personne âgée… ou bien elle apparaît comme totalement incongrue : « Vous prélevez les vieux ? Mais pour quoi faire ? À cet âge-là, il n’y a plus rien qui marche ! »

Le déni de la mort
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Quand la souffrance du défunt est mise en avant pour étayer un refus – « Je veux qu’on le laisse tranquille. Il a assez souffert, je ne veux plus qu’il souffre. » – elle signifie souvent que la personne n’a pas encore pris conscience de la mort, n’a pas réellement entendu le mot «mort ». On peut alors faire revenir le médecin réanimateur, par exemple, qui s’était un peu éloigné, pour ré-informer, repréciser ce qui a été dit dans le premier entretien et qui n’a pu être vraiment entendu, tellement la situation était douloureuse.

L’invocation de la religion
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La religion est très souvent invoquée pour opposer un refus, soit que les personnes pratiquent effectivement une religion qui, selon elles, «ne leur permet pas de…», soit qu’elles y recourent simplement comme à un argument imparable qui doit mettre fin à toute discussion.

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L’une comme l’autre situation doivent inciter les coordinatrices hospitalières à approfondir leur culture des principales religions pratiquées dans notre pays. Il ne suffit pas de dire, comme cela est souvent écrit, que les religions monothéistes sont toutes favorables aux prélèvements. On le dit, bien sûr. Mais cela ne suffit pas. Ce qui est en jeu, ce sont les représentations, les croyances des gens, le regard de leur entourage… Il est donc essentiel de pouvoir leur citer – et leur faire découvrir, souvent – des versets du Coran ou de la Bible qu’ils ne connaissaient pas.

Registre national des refus et carte de donneur

En France, les personnes qui ne veulent pas faire l’objet d’un prélèvement d’organes après leur décès peuvent s’inscrire sur le registre national des refus. Aucun prélèvement ne peut intervenir sans que celui-ci ait été consulté. Y figurent actuellement environ 75 000 personnes (72 112 selon le site de l’Agence de la biomédecine en août 2008).

S’il présente aux citoyens une opportunité pour exercer leur liberté par rapport au don d’organes, ce registre informatisé n’aide guère les équipes de coordination : peu de gens, en effet, connaissent son existence, et on ne saurait se contenter de dire à une famille que, son défunt ne figurant pas sur le registre, il n’était pas opposé au don. D’ailleurs, ce registre n’est pas cité dans la loi comme le seul mode envisageable pour faire connaître son opposition, celle-ci pouvant être exprimée « par tout moyen ».

Par ailleurs, pour éviter toute anticipation de la mort, le législateur a prévu que le registre ne pourrait être interrogé qu’après le constat de décès. Il ne peut donc servir d’argument au cours de l’entretien avec les proches, puisqu’il est toujours consulté a posteriori.

Quant à la carte de donneur, c’est un élément d’information, certes, mais dépourvu de toute valeur juridique. D’autant que la famille peut toujours invoquer un récent changement d’opinion chez la personne défunte concernée.

Des réponses contradictoires
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Les coordinations sont souvent amenées à recevoir plusieurs proches ensemble ; or il arrive que certains disent «Notre père était favorable au don» tandis qu’un autre membre de la famille déclare « Pas du tout, il était contre ». Les motifs qui fondent de telles attitudes sont complexes. Ces situations sont parfois difficiles à gérer pour les coordinatrices, introduites dans les méandres de problèmes familiaux très lourds qui se dévoilent au moment de l’entretien. Mais dans bien des cas, un cheminement s’avère possible, qui permet d’aller au-delà des premières réactions de rejet.

… qui doivent être accompagnées

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Pour s’accomplir, ce cheminement demande souvent d’être favorisé ou accompagné. Il est essentiel de ne pas se contenter d’entendre le premier « non » : celui-ci peut répondre simplement à la question évoquée précédemment, « En aviez-vous déjà parlé ? » ; il peut aussi exprimer le refus viscéral de la mort du proche. Devant une famille en pleurs, la coordinatrice serait aisément tentée de s’arrêter à cette réponse-là. Mais il faut toujours essayer d’aller au-delà.

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Artisan, Monsieur C. travaillait avec sa fille. Amené dans le service de neurochirurgie après une chute du haut de son échafaudage sur le sol, il a très vite été diagnostiqué en état de mort encéphalique. Lorsque nous avons évoqué la possibilité du don avec sa femme et sa mère, premières arrivées à l’hôpital, celles-ci ont répondu ensemble : « Il aurait voulu ; c’était quelqu’un d’une grande générosité, il aurait voulu. »Arrive la fille, à ce moment là, avec son ami, hors d’elle : «Papa, il est mort, ce n’est pas possible…» Présente sur le chantier, elle avait vu l’accident mais elle n’avait pas bien compris sa gravité et elle ne pouvait pas admettre que son père soit mort. Quand sa mère s’est retournée vers elle en disant «Écoute, on vient de me poser la question pour le don d’organes, qu’en penses-tu ? », elle s’est exclamée « Ah non, il ne voulait pas ! »

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C’était très curieux, cette situation. Deux femmes, qui vivaient avec cet homme depuis très longtemps et qui lui reconnaissaient un certain état d’esprit, et sa fille, qui travaillait avec lui au quotidien et qui disait le contraire. Nous les avons laissées toutes les trois en disant : «Apparemment, il y a une situation qui n’est pas très claire entre vous ; nous allons vous chercher un petit café, voyez cela ensemble. » Nous avons demandé au jeune homme qui n’était pas de la famille de venir nous aider. Nous les avons laissées tranquilles un bon quart d’heure. Quand nous sommes revenus avec une petite collation, il y avait consensus. Cette fille, c’était un «non» à la mort de son père qu’elle avait lancé, de manière viscérale. Le temps de se reposer un petit peu l’esprit avec sa mère et sa grand-mère lui a permis de cheminer.

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Beaucoup de situations évoluent ainsi, quand on donne aux proches la possibilité de réfléchir. Avec l’expérience, on apprend aussi à sentir quelles sont les personnes capables de penser au-delà de leur peine du moment… et celles qui s’arrêteront à un non strict, qui ne pourra pas être dépassé.

Respecter les personnes

Éviter la culpabilité

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À la question «Votre défunt était-il opposé au don d’organes ? », beaucoup de gens répondent : «Non. Mais moi, je suis contre. » En pareil cas, les coordinatrices ont certes un travail d’accompagnement à faire, mais celui-ci a bien peu de chances d’aboutir à un don. « Et puis, surtout, n’insistez pas et n’essayez pas de me culpabiliser. » On perçoit alors l’ambivalence des proches qui, dans le même temps, opposent un refus formel à toute éventualité de don et ne se sentent pas bien précisément parce qu’ils refusent. Certains disent même : « Je sais, je sais qu’avec des greffes d’organes on peut sauver des vies. Je sais qu’on peut améliorer des existences… Mais voilà, moi je ne veux pas. »

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Les propos de la coordination viseront à que ces personnes ne culpabilisent pas, ni aujourd’hui ni demain. En effet, elles vont se rappeler durablement cet entretien, intervenu le jour même où leur proche est mort. Il ne faut pas que, par la suite, s’il arrive qu’un membre de leur propre famille ait besoin d’une greffe, l’un ou l’autre de ceux qui y auront participé pense : «Mais alors moi, quand j’aurais pu, je n’ai pas donné… » Par leur attitude, leur écoute, les coordinatrices peuvent contribuer à préserver l’avenir, y compris pour ceux qui répondent : « J’ai honte de vous dire ça, mais je refuse de vous donner un organe de mon mari. »

Une interprétation de la loi respectueuse des personnes

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Certains médecins transplanteurs ne comprennent pas que les équipes de coordination renoncent à un prélèvement quand la famille s’y oppose, allant parfois jusqu’à traiter ces équipes de «hors-la-loi ». De fait, la législation considère que l’absence de toute opposition émanant du défunt – et non de ses proches – valide le prélèvement. Mais lorsqu’une famille a recherché dans la vie, dans la manière de vivre de son défunt, ce qu’il pouvait penser, et qu’elle en a conclu qu’il était opposant, il est impossible d’aller au-delà. Quand bien même il serait évident qu’elle ne détient aucun signe objectif de cette opposition. Les proches sont les porte-parole de tout un ensemble de ressentis dont on ne peut pas ne pas tenir compte. D’autant que le principe du « consentement présumé » est largement méconnu de la plupart de nos concitoyens. Il n’est pas rare d’entendre : «Attendez, vous nous parlez de la loi, mais c’est nous qui décidons. »

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Dans d’autres cas, cette priorité donnée au respect des personnes peut conduire à tenir compte de la volonté du défunt lui-même et faire renoncer à un prélèvement, alors même que la famille y est favorable… quitte à encourir, cette fois, le reproche de n’avoir pas suivi la position des proches.

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Monsieur O., 62 ans, passe en état de mort encéphalique. Sa femme et sa fille déclarent : « Il avait dit qu’il ne voulait pas faire don de ses organes. » La situation est donc claire a priori, quand elles ajoutent : «Mais nous, nous y sommes très favorables, car il y a dans notre famille une personne greffée du cœur. » A-t-on dans ce cas le droit de prélever des organes… ou pas ? Si l’on reste dans le cadre de la loi, le prélèvement est impossible : une opposition a été transmise. Il a été décidé de ne pas pratiquer de prélèvement.

Conclusion
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La médecine, comme toute science, utilise un langage complexe. Le concept de «mort encéphalique » n’est pas toujours facile à saisir pour les familles. Mais finalement, de quoi parlons-nous avec elles ? De la mort de leur proche. Ce qui est fondamental dans l’expérience des coordinations, au-delà des arguments scientifiques, c’est la manière dont elles reçoivent les familles et dont elles s’entretiennent avec elles, avec cette phrase qui revient souvent : «Vous me dites que mon mari (ma femme, mon père…) est mort et qu’on peut sauver des gens avec ses organes… Moi, je vous crois, j’ai confiance en vous. »

Notes
[1]

Cf. dans ce numéro : Belghiti J « L’organisation des prélèvements en France : repères juridiques et éthiques », Laennec, 4/2010 : 21-28.

[2]

Cf. dans ce numéro : Gruat R « Reconnaître l’état de mort encéphalique », Laennec, 4/2010 : 29-36.

[3]

La « personne de confiance » est la personne désignée par un malade pour s’exprimer en son nom dans une situation où il ne pourrait pas le faire lui-même. NDLR

[4]

Code de la santé publique, article L.1232-2, modifié par la Loi n°2004-800 du 6 août 2004.

[5]

Bien souvent d’ailleurs, ce n’est pas un, mais plusieurs patients dont la vie va être sauvée. Ainsi, le cœur peut se trouver transplanté à une personne, les reins à deux personnes différentes, et le foie ou les poumons à encore un autre malade menacé de mort à brève échéance. NDLR

Résumé

Français

Selon le principe qui prévaut en France du « consentement présumé » au don d’organes, il appartient aux coordinations hospitalières des prélèvements de vérifier auprès des proches l’absence de toute forme d’opposition exprimée par le défunt de son vivant. Comment concilier la poursuite d’un objectif clair – l’obtention d’un greffon qui permettra d’éviter le décès d’un patient en liste d’attente – avec le souci constant de l’empathie et du respect dus à des familles en deuil ? Renaud Gruat et Chantal Biccochi témoignent de leur expérience.

Mots-clés

  • consentement présumé
  • coordination hospitalière
  • don d’organes
  • mort encéphalique
  • prélèvement d’organes
  • principe de solidarité
  • registre national des refus
Plan de l'article
  1. Rencontrer la famille et parler de la mort
    1. Des conditions indispensables
    2. L ’annonce de la mort
  2. Aborder la question du don avec les proches
    1. Mais qui sont « les proches » ?
    2. Parler du don : entre humanité et professionnalisme
  3. Accueillir toutes les réactions
    1. Des attitudes très diverses…
    2.  
    3. … qui doivent être accompagnées
  4. Respecter les personnes
    1. Éviter la culpabilité
    2. Une interprétation de la loi respectueuse des personnes
  5. Conclusion

Pour citer cet article

Gruat Renaud, Biccochi Chantal, « Consentement présumé et accueil de la famille et des proches », Laennec, 4/2010 (Tome 58), p. 37-47.

URL : http://www.cairn.info/revue-laennec-2010-4-page-37.htm
DOI : 10.3917/lae.104.0037

Publié dans Lectures

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