Autodétermination de la définition de la mort - directives anticipées.Perte irréversible de la conscience.

Publié le par Emmanne

Je place ici les derniers chapitres de cette thèse pour pouvoir y revenir, les relire et tirer matiere à penser .


1. Vivants d'aujourd’hui, morts de demain : redéfinition de la mort
1.1. Perte irréversible de la conscience
Dans la première partie de ce manuscrit, nous avons dénoncé la difficulté d'appréhender le
concept de mort, et particulièrement de faire coïncider une définition ontologique de la mort
avec une définition physiologique assise sur des critères scientifiques objectivables. A
l'heure des prouesses technologiques, qui permettent de maintenir un corps en état de
fonctionnement biologique malgré la destruction irréversible (au moment nous
l'écrivons) du cerveau, est-il encore concevable, comme le préconise l'Organisation Mondiale
de la Santé, de "parvenir à une définition de la mort comme un phénomène singulier " ?
Nous avons affirmé que les critères scientifiques de mort encéphalique ne satisfaisaient pas
la définition physiologique de la mort comme perte irréversible de l'intégrité fonctionnelle
de l'organisme, établie en 1981 par la commission présidentielle états-unienne367 à partir de
la définition proposée en 1968 par le Harvard Brain Death Committee et défendue depuis par,
entre autres, J. Bernat368. Prenant en compte certaines preuves contraires, comme la
persistance de fonctions hormonales, le President's Council on Bioethics a préféré opter, en
2008, pour une définition de la mort qui exige, non pas la perte de l'intégrité fonctionnelle de
l'organisme, mais la perte de sa capacité à interagir avec l'environnement qui se manifeste
tout particulièrement lors de la respiration spontanée369. Pour autant, le cas de Jahi McMath,
diagnostiquée en mort encéphalique depuis deux ans, sans aucune interaction possible avec
son environnement, constitue un contre-exemple suffisant pour encore rejeter cette
définition.
Finalement, certains ont renoncé à définir la mort selon des critères scientifiques, et
s'attachent désormais à distinguer les morts des vivants selon des critères ontologiques, qui
caractérisent la personne humaine. Parmi eux, R. Veatch affirme que l'intégration de l'esprit
et du corps est nécessaire à la vie. Si esprit et corps sont intégralement et définitivement
séparés, alors la vie a cessé. Tel est le cas des nouveau-nés anencéphales et des personnes en.

état végétatif permanent. Cette perte d'intégration esprit-corps peut survenir sans que tous
les critères de mort encéphalique soient vérifiés. De fait, la mort néocorticale est définie par
la perte irréversible des fonctions cérébrales situées au niveau de la couche externe des
hémisphères cérébraux. Il s'agit des activités cérébrales sentivo-motrices, mais surtout du
lieu d'exercice de la vie cognitive et des fonctions dites supérieures, autrement dit très
élaborées, celles-là même qui nous distinguent des animaux (à quelques exceptions près...).
Autrement dit, en cas de destruction totale et définitive du néocortex, la conscience et la vie
cognitive, qui lui sont liées, sont irrémédiablement abolies.
Si l'on considère que ce qui définit ontologiquement la vie humaine est dépendant de
l'activité physiologique néocorticale, pourquoi ne pourrait-on pas définir la mort selon des
critères scientifiques de mort néocorticale ? A l'instar de la mort encéphalique objectivée par
l'absence de circulation sanguine au niveau de l'encéphale, la mort néocorticale pourrait être
objectivée par un silence colorimétrique absolu, constaté sur des images d'IRM fonctionnelle.
Mais, si la mort néocorticale implique de facto la perte de la conscience, celle-ci peut aussi
être définitivement abolie sans que la destruction du néocortex soit complète. C'est pourquoi,
ceux, comme R. Veatch, pour qui la vie a disparu en l'absence de toute conscience,
n'accordant de la valeur à la vie qu'en qualité de véhicule de cette conscience, ne sont pas
davantage satisfaits de cette nouvelle définition, encore trop restrictive.
L'état végétatif est un état d'inconscience chronique caractérisé par la préservation des
fonctions végétatives, notamment cardiaques et respiratoires. Toutes les fonctions
cognitives sont absentes, en dépit de l'apparence d'éveil des malades. Contrairement à l'état
comateux, la personne concernée peut avoir les yeux ouverts, cligner spontanément des
paupières, présenter une alternance veille-sommeil et une variété de réponses réflexes
archaïques comme la succion, allant parfois jusqu’à la capacité de déglutir. En IRM
fonctionnelle, des zones cérébrales apparaissent encore actives. Mais cette personne n'a plus
aucune conscience ni d'elle-même ni de son environnement. Du moins, comme le fait
remarquer J.N Missa, c'est ce que l'on suppose370. Car objectivement, nous ne pouvons que
constater les effets cliniques de la fonctionnalité d'une partie du cerveau, notamment celle
du tronc cérébral, qui permet l'apparence d'éveil et l'indépendance du système cardio-
respiratoire vis-à-vis de tout support technique. Mais, compte tenu de notre impossibilité à
décrire la conscience phénoménale, ce n'est que subjectivement que nous pouvons affirmer
que la personne est dépourvue de toute vie cognitive, de toute conscience d'elle-même et de
son environnement, autrement dit de toute perception. En effet, peut-on scientifiquement
soutenir que les malades en état végétatif sont dépourvus de tout quale ?
Pour autant, selon R.Veatch, tant que la science médicale n'aura rien à proposer pour
suppléer à la perte totale de la conscience, la survenue de cet état doit conduire à déclarer
cette personne décédée. Affirmant cela, il estime être en adéquation, au moins partiellement,
avec certaines convictions sociétales, comme l'ont montré des chercheurs qui avaient
présenté trois scénarios hypothétiques différents à plus de 1300 citoyens de l'Ohio, Etats-
Unis371. Le premier scénario était celui d'une personne en état de mort encéphalique ; le
deuxième, celui d'une personne en état comateux chronique jugé définitif, nécessitant une
ventilation artificielle ; le troisième, celui d'une personne en état végétatif persistant,
respirant sans machine, possédant un réflexe de déglutition permettant de la nourrir par la
bouche. La grande majorité des citoyens sondés identifiait sans équivoque la mort de la
première personne, et plus de la moitié considérait la seconde comme morte. Le troisième
scénario est probablement le mieux connu de la population générale, tant les affaires
médiatisées de demande d'arrêt d'alimentation et d'hydratation pour mettre un terme à la
vie de personnes dans un état similaire n'ont pas manqué d'égrener l'actualité des dernières
années, depuis l'affaire judiciaire de Karen Quinlan débutée en 1975. Malgré cela, plus d'un
tiers encore des citoyens interrogés considérait la troisième personne d'ores-et-déjà
décédée. La proportion des citoyens estimant que les personnes des scénarios 2 et 3 étaient
décédées peut même avoir été minorée par leur connaissance éventuelle de la définition
légale de la mort : il est probable que ceux qui savaient que celle-ci correspondait
uniquement au premier scénario n'aient pas répondu que la personne était décédée, en dépit
de leur conviction intime contraire.
Ainsi, selon R. Veatch, la définition sociétale de la mort semble pluraliste. Le même vocable
"mort" pourrait indiquer des états différents, tout comme celui de "personne" peut faire
référence, matériellement, à un être humain vivant ou, ontologiquement, à ce qui caractérise
l'individualité de cet être humain, inhérente à sa dignité. Ici, "mort" pourrait être employé
dans un sens physiologique comme cessation de toute fonction organique ou dans un sens
philosophico-sociétal comme cessation de toute relation avec l'environnement.

 

Et tous lesindividus "morts" pourraient être légalement prélevés de leurs organes, sans contredire la
règle du donneur mort.
Pourtant, il existe une différence fondamentale entre un individu en mort encéphalique et
un individu en état végétatif. Cette différence réside dans le degré de certitude pronostique
quant au caractère définitif ou non de leur condition. L'absence de circulation sanguine au
niveau encéphalique garantit la nécrose du tissu cérébral. Par contre, rares sont les
personnes en état végétatif "permanent" : la plupart des malades diagnostiqués en état
végétatif évoluent en quelques mois vers un état dit pauci-relationnel. Pour certaines le
diagnostic d'état végétatif a pu être erroné : entre 1992 et 1995, d'après Andrews et al., près
de la moitié des diagnostics s'avérait a posteriori fausse372. Aujourd'hui, le recours à l'IRM
fonctionnelle permet sans doute de corriger la majorité de ces erreurs. Néanmoins,
l'évolution vers un état pauci-relationnel a également pu être constatée, après que certaines
cellules cérébrales aient pu repousser373.
Dès lors, la certitude diagnostique de la permanence de l'état végétatif n'est plus garantie : la
perte de l'ensemble des fonctions intégratives du couple esprit-corps peut ne pas être
définitive ; dans certains cas, cet état peut être, si ce n'est réversible, au moins évolutif vers
un état de conscience minimale.
En l'absence de certitude pronostique, la "certitude" diagnostique d'un état végétatif à un
instant t peut-elle suffire à déclarer la personne concernée décédée, afin que ses organes
puissent éventuellement être prélevés ?
Si les critères diagnostiques de mort néocorticale sont assurément moins consensuels que
ceux qui définissent la mort encéphalique, force est de constater qu'ils apparaissent
suffisamment fiables aux yeux de la loi pour permettre, dans les pays qui l'autorisent, à
envisager d'arrêter l'administration artificielle de l'hydratation et de l'alimentation, dans le
but de laisser mourir la personne concernée. De fait, le 6 juillet 2015, la cour européenne des
droits de l'Homme a déclaré que la justice française ne violerait pas la convention
européenne des droits de l’Homme en permettant que les traitements (en l'occurrence
l'alimentation et l'hydratation), qui maintiennent Mr Vincent Lambert en vie, puissent être
suspendus..

Si les critères diagnostiques de ces états sont suffisamment fiables pour autoriser
moralement et légalement l'arrêt des traitements vitaux d'un malade, et que, en
conséquence, le malade décède effectivement, alors ces mêmes critères devraient
logiquement être suffisamment fiables pour le déclarer d'emblée décédé. Et c'est bien ce qui
se passe en pratique : tous les jours, des décisions d'arrêt des traitements curatifs sont prises,
pour prévenir l'évolution d'un malade souffrant d'une lésion cérébrale sévère vers un état de
conscience minimale ou végétatif. Pourtant, plus le diagnostic est porté précocement, moins
la certitude pronostique est importante, comme nous l'avons déjà mentionné. Quel argument
peut justifier cette attitude qui consiste à prendre une décision vitale, y compris en dehors
d'une zone de certitude pronostique absolue ? Ceux qui sont confrontés à ce type de
décisions estiment que l'erreur portée sur un nombre infime de malades (qui auraient
évolué mieux que ce qui a été prédit) est moins préjudiciable que de prendre le risque de
poursuivre la réanimation de tous les malades cérébro-lésés graves, quitte à ce qu'un plus
grand nombre évoluent vers un état pauci-relationnel ou végétatif, que ne souhaitent pas
"vivre" la très grande majorité des individus. En termes conséquentialistes, cette décision est
compatible avec le moindre mal pour le plus grand nombre.
L'objection évidente à ces prises de position consiste à rappeler que la valeur que chacun
accorde à sa propre vie est le fruit d'une évaluation strictement personnelle : n'est-ce pas
alors l'individu lui-même qui est le plus apte à décider d'accepter ou non de prendre le
risque de vivre cette situation ?

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